Entretien de Raymond Viallon avec Michael Michlmayr


Talks between Raymond Viallon (Galerie Vrais Rêves) and Michael Michlmayr published in July 2007/ BIBLIOTHEQUE(S) magazine


R.V –Tu as fait plusieurs expositions et séjours en France mais ton nom n’est pas encore très connu dans l’hexagone. Bien que tu sois encore un « jeune photographe », peux-tu nous faire un petit résumé de ton activité photographique professionnelle et artistique ?


M.M - Je travaille dans la photographie depuis les années 80 et très rapidement j’ai mené une recherche artistique personnelle. Dès 1990, dans l’exposition « Minimals », j’approchais le concept de la « reconstruction », de l’arrangement des images, du « comment montrer ». Bien que les sujets que je traite aient, depuis, largement évolué, cette réflexion sur la présentation de l’image finale se poursuit encore.

En parallèle et professionnellement, j’ai renforcé mes connaissances et amélioré les subtilités et finesses techniques en travaillant comme assistant puis comme photographe indépendant, avec divers professionnels du monde de la publicité, de l’illustration. Au fil du temps, de mes rencontres, de mes lectures, des multiples découvertes dans le domaine de l’art et des techniques informatiques, j’ai développé et concrétisé ma vision que j’espère personnelle.


R.V – Comme tu vis en Autriche, et bien qu’amoureux de la France (!!), tu dois plus ou moins subir, consciemment ou non, l’influence de la photographie allemande. Existe-t-il, à ton avis, un lien entre ta photographie et celle de Thomas Ruff ?


M.M - Oui et non. On ne peut jamais nier une influence inconsciente, mais je ne vois pas de lien conscient avec la photographie allemande. Naturellement on a beaucoup d’œuvres dans la tête et j’apprécie d’une certaine façon la clarté dans le nouveau réalisme allemand ainsi que, comme tu le sous-entends, la frontalité affirmée des images de Thomas Ruff. Il est vrai que cette frontalité a été, et est encore pour des raisons techniques évidentes, très présente dans mes séquences photographiques. Il est en effet plus facile de gérer la frontalité que la perspective dans les associations d’images que je réalise. Cependant, pourquoi faire simple quand on peut faire compliqué ( !), il est exact que, dans mes travaux en cours, je commence à aborder ce glissement vers le traitement de la perspective...


R.V – En tant que responsable de la galerie « Vrais Rêves », patronyme choisi en hommage à Duane Michals, une partie de ta recherche artistique, plus récente, m’avait beaucoup touché, ton travail basé sur la séquence photographique. Comment cette idée de « séquence » s’est-elle imposée à toi ?


M.M - J’aime beaucoup le cinéma et la notion de temps qu’il véhicule. L’idée de la séquence photographique m’a donc très vite interpellé car elle seule pouvait être porteuse, en photographie fixe, de cette temporalité relative. La découverte des travaux de Duane Michals, dont le livre « Vrais Rêves », a renforcé cette conviction. Duane Michals a libéré la photographie de la notion documentaire ou mieux de l’ « objectivité ». Il a ainsi dépassé la barrière du moment suspendu, arrêté, de l’image photographique. Dans ses séquences, en allant au-delà du simple instantané, il nous propose un regard poétique, philosophique. La connaissance de son travail a, de façon certaine, enrichit ma façon de voir et penser la photographie. Aujourd’hui je peux dire que ma photographie est en fait très proche du film, peut-être à la frontière entre la photographie et le cinéma. Je vois quelques-unes de mes images comme des petits films fixes, comme un court métrage sans interruption. 

R.V – Comment as-tu vécu l’arrivée de la photographie numérique ? A t-elle changé ta façon de travailler, de voir et de surtout de montrer ?

M.M - J’ai toujours suivi de près la photographie numérique. Dans les tous débuts je la trouvais très pauvre et plate. Puis, peu à peu, les possibilités techniques évoluant, la définition s’améliorant, on commença à découvrir des travaux plus intéressants. Au bout d’un certain temps j’ai finalement accepté de reconnaître que le numérique et l’outil informatique - l’ordinateur - pouvait offrir d’énormes possibilités pour la création et particulièrement pour la séquence photographique que je travaillais déjà depuis plusieurs années de façon classique, chaque photographie de la séquence étant encadrée individuellement. Aujourd’hui mon travail a évolué et je ne travaille qu’en numérique, le fichier ayant remplacé le négatif. Mes prises de vues sont cependant restées les mêmes qu’auparavant car seul l’outil d’enregistrement de l’image a changé. Par contre, par la suite, je les traite sur l’ordinateur à l’aide des outils graphiques conventionnels. En effet ces outils numériques me permettent, de façon plus souple, de créer mes images définitives. La façon de montrer a donc, par voie de conséquence, évolué. Chaque séquence se présente, aujourd’hui, sous l’apparence trompeuse d’une image « ordinaire » bien qu’elle soit en réalité issue de l’association de plusieurs prises de vue. Je précise souvent, parce que c’est nécessaire, qu’il ne s’agit nullement de manipulation d’images mais bien d’association d’images. Chaque image composant la séquence peut donc assez facilement se retrouver. La forme finale apparente de « l’image séquence » peut évoluer mais dans tous les cas une lecture attentive de cette image permet de prendre en compte l’irréalité de la situation et de retrouver cet espace temps dont nous avons déjà parlé. C’est d’ailleurs, j’en suis certain, la raison pour laquelle vous aviez décidé de proposer, à la galerie Vrais Rêves, mon travail dans le cadre de « Résonance » à la Biennale d’Art Contemporain de Lyon dont la thématique était « l’expérience de la durée ». 

R.V – L’arrivée en force des « panoramiques » dans la photographie dite contemporaine a-t-elle servi ou au contraire a-t-elle détournée l’attention vis-à-vis de ton travail ?

M.M - Le panorama a toujours eu sa place dans les arts graphiques. Mais il est vrai que depuis quelques années ce format s’est imposé de façon plus radicale avec l’apparition des appareils jetables dédiés à ce format tout d’abord, puis par la démocratisation de la photographie numérique. Cela dit, le format n’étant pas en soi une finalité, les images intéressantes ne sont pas aussi nombreuses. L’intérêt dépend en effet de l’intention, du sujet et de sa façon de les traiter ainsi que de la qualité technique de la photographie. En ce qui me concerne j’aime bien cette ambiguïté ludique entretenue par ces faux panoramiques mais il est exact que cela exige un effort d’attention de la part du regardeur afin qu’il puisse découvrir la raison même de cette image, son sens véritable, et finalement mon intention ou ma supercherie... Contrairement au vrai panoramique qui en général se perçoit immédiatement dans sa globalité mon travail se découvre lentement, subtilement, par le petit détail qui, répété, fait sens. J’invite donc les regardeurs, voire les sceptiques ou les blasés, à se rapprocher... pour me questionner.


R.V – L’évolution plus récente de tes photographies vers un format carré me semble être un retour aux origines de tes premières séquences. Est-ce un retour inconscient vers cette forme liée à la photographie moyen format (le presque regretté 6x6) ou la volonté d’échapper à la linéarité du format panoramique aujourd’hui conventionnel ?


M.M - Effectivement ce format m’a toujours intéressé et m’intéresse encore. Dans mes premières séquences en noir et blanc (voir la série « fenestra ») j’ai souvent utilisé la mise en abîme de cette forme en présentant la série de 9 photographies en carré, forme qui rappelle que la photographie est aussi une fenêtre ouverte sur le monde extérieur. Cependant, bien que j’aime jouer de ces variations de forme, je prends toujours soin de

les utiliser en fonction des images, du sujet ou de « l’histoire » que je veux développer. Cela dit, il est vrai que j’apprécie le confort du format carré et qu’inconsciemment j’y fais souvent référence. La série « Q » était par contre une référence consciente au carré. Peut-être que la nostalgie de mon vieux 6x6 y a joué un rôle. En tant que créateur je pense aussi souvent à l’utilisation, en exposition ou en édition, de mes photographies. L’utilisation de différentes formes permet ainsi d’organiser, de rythmer les lectures d’images et d’éviter une certaine lassitude due à la linéarité trop présente des formats panoramiques.


R.V – Comment, à ton avis, se situe ton travail dans la production actuelle de la photographique contemporaine ? Peut-on le classer dans la mouvance de photographie dite « objective » ou est-il plus subtilement, et en même temps, dans la subjectivité et l’objectivité ?


M.M - C’est une question intéressante ! Ma photographie est effectivement bien, à mon sens, dans la subjectivité et dans l’objectivité. En effet toutes les images initiales, puisées dans mon environnement, participant à la réalisation de mes photographies sont du domaine du réel, sans artifice, donc relevant d’une façon certaine de l’objectivité. Or l’association de ces fragments objectifs n’est plus l’image d’une réalité mais bien le support de mon imaginaire. Je pense que dans mes images je me comporte un peu comme un caricaturiste car d’une certaine façon, j’accentue le trait particulier pour le révéler grâce à mes accumulations, mes répétitions d’images parfaitement organisées. C’est ce « coup de projecteur », moteur de cette petite « histoire » en arrière plan, qui transforme visuellement et intellectuellement, cette objectivité initiale en subjectivité. C’est peut-être pour cette raison qu’il est difficile de me classer dans l’une ou l’autre de ces mouvances…


R.V - Quels sont tes sujets de prédilection actuels ?


M.M - C’est toujours mon environnement. Bien qu’encore jeune ça commence, comme beaucoup d’autres photographes dont certains très célèbres, à ma fenêtre. Je regarde la vie de nos contemporains, j’observe notre société. Les rues et leurs utilisateurs, les parcs de loisirs, les grands magasins support de notre société de consommation, les scènes touristiques, tous ces lieux je les utilise, je les manipule, je les caricature. Un peu comme des tranches de vie du monde contemporain. L’architecture fait aussi fait partie de cette vie et elle en est la scène, les coulisses de la vie. Elle est de plus en plus présente dans mes images.


R.V – Dans le monde de la photographie actuelle on confond très souvent ton travail avec celui d’un jeune photographe suisse, Mathieu Bernard-Reymond. Penses-tu que vos travaux sont comparables ? Sinon qu’elles sont vos différences dans l’approche photographique ?

M.M - On pourrait dire que nos travaux sont dans l’air du temps. Cela est vrai dans tous les domaines et l’art ne fait pas exception. L’informatique y est pour quelque chose… Chaque créateur s’empare des outils à sa disposition, dont les nouveaux pour certains, et il n’est pas surprenant que le résultat des différentes recherches puissent se croiser. Quand j’ai vu pour la première fois les travaux de M.B.R. j’ai été étonné. En me rapprochant j’ai découvert des points communs mais aussi des différences dans nos démarches. Personnellement, et contrairement à M.B.R, je conserve la presque totalité de chacune de mes photographies de départ car je suis très attaché à cette notion de séquence photographique, à ce passage du temps. J’interviens donc dans mes images en transformant seulement par addition, le lieu, l’espace, la scène ou les coulisses où se joue cette tranche de vie. La temporalité et l’espace jouent donc un rôle essentiel dans mon travail.


R.V – Que peut-on te souhaiter Michael ?

M.M - Que cet entretien puisse, pourquoi pas ?, être le point de départ d’une relation avec des responsables de lieux intéressés par la photographie contemporaine à partir d’une programmation d’exposition - mes photographies sont disponibles à Lyon dans ma galerie – et de rencontres avec leur public. L’Autriche n’est pas très éloignée, c’est l’Europe n’est-ce pas, et j’avoue que je serais très heureux de revenir plus souvent en France, pays dont j’apprécie particulièrement la culture et la langue.


R.V – Aurais-tu quelque chose à ajouter ?


M.M – Oui, j’aimerais terminer cet échange en attirant l’attention sur le rôle essentiel des galeries dans la diffusion et la représentation du travail des artistes ainsi que dans leur accompagnement technique et artistique. Cette aide à la création qu’ils nous procurent nous est précieuse et à titre personnel m’est indispensable. C’est pourquoi je souhaite terminer cet entretien en remerciant ma galerie, la galerie Vrais Rêves, et tout particulièrement ses responsables qui suivent et soutiennent mon travail, depuis notre rencontre au Mois de la Photographie à Bratislava, il y a plusieurs années. 




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"The realism of photography creates confusion as to what is real" Susan Sontag