Le paradoxe MICHLMAYR / Victor Brunel 1
Henri Bergson, inspiré par le paradoxe de la flèche de Zénon d’Élée, affirmait que « si nous avions affaire aux photographies toutes seules, nous aurions beau les regarder, nous ne les verrions pas s’animer : avec de l’immobilité, même indéfiniment juxtaposée à elle-même, nous ne ferons jamais du mouvement »2.
Et pourtant, de cette apparente pauvreté perceptive, le photographe autrichien Michael Michlmayr a su tirer une extraordinaire richesse. Dans son dernier travail subtilement intitulé « Intervalles », l’artiste part de vidéos, sur les œuvres Les pèlerins #1 et #2, ou encore Escalator VII, pour décomposer le mouvement suivant n images par seconde, et juxtapose le tout en choisissant un point de référence : ce dernier sera net, tandis que le reste sera soit net, soit flou (tout est question de vitesse). Le résultat n’en reste pas moins « accidentel », donc remarquable. Même procédé pour l’œuvre Les fantômes du passé et son esthétique étonnante : les images de la vidéo (une vague s’écrasant contre un bunker sur la plage) sont placées les unes à la suite des autres, comme on déroule une pellicule cinématographique.
Descendons d’un étage et les microsecondes de l’image animée cèdent leur place au temps solaire : Référence #1, une pause longue de vingt-quatre heures, capture la trajectoire du soleil, qui vient, astre infernal, mutiler la photographie.
Doit-on toujours en conclure que la photographie « ne fait pas le mouvement » ? Peut-être bien ; car Michlmayr ne « fait » pas le mouvement, il le crée. Créer du mouvement à partir de la fixité, c’est le paradoxe Michlmayr.
(1) Victor BRUNEL et Rebecca COOPMAN étudiants en Master 2 Esthétique et culture visuelle sont stagiaires à Vrais Rêves depuis février. Passionnés par l'écriture et les expositions qu'ils ont vus naître à la galerie nous leur avons offert un espace d'expresssion dans cet Info-Rêves N°120. Nos Remerciements et Félicitations
(2) H. Bergson, L'évolution créatrice (1907), Paris, Félix Alcan, 1908, p. 303.
"The realism of photography creates confusion as to what is real" Susan Sontag